Pour toute demande spéciale, contactez-nous
Expédition dans le monde entier, assurances et frais de douane inclues
Expédition dans le monde entier, assurances et frais de douane inclues

the EDUCATED cool
17/12/2022 - Magazine

the EDUCATED cool
the EDUCATED cool
the EDUCATED cool
the EDUCATED cool


Juin 2021 / Thierry Genay, Tranquillité et tension sous le ciel de Toulouse

TEC-Interview-06-2021

Plus vous vous accorderez du temps et vous impliquerez, plus vous serez récompensé par les photographies de Thierry Genay.
Certains apprécient avant tout les compositions magistrales de lumière, de couleurs et de formes, d’autres se reposent simplement dans l’art de Thierry, d’autres encore se souviennent de la citation “Quiet is the new loud” d’il y a une vingtaine d’années.

Nous nous sommes entretenus avec le photographe toulousain qui choisit ses mots avec autant de sagesse et de soin qu’il met en scène ses œuvres de pure beauté et de spiritualité.

“Beaucoup de gens ressentent un sentiment de calme devant mes photographies. »

Quand avez-vous découvert le monde de l’art et quels artistes vous ont fasciné ?

Pendant mon adolescence, j’ai pratiqué la bande dessinée et j’avais certainement le goût de l’image, car mon professeur de dessin au lycée me donnait des sujets sur mesure. Mais c’est vraiment en entrant aux Beaux-arts que j’ai découvert les arts plastiques au CAPC Musée d’Art Moderne de Bordeaux. Art conceptuel, Land art, art minimal, etc.

C’est également à Bordeaux que la culture cinématographique a eu un grand impact sur moi. De cette période, je retiendrais Richard Long, Lucio Fontana, Guiseppe Penone, Frank Stella… Je découvrais aussi la photographie argentique en noir et blanc, mais c’est la composition qui m’intéressait, je n’avais pas de références précises. C’est surtout le cinéma qui m’a éduqué à l’image à cette époque. L’image, sa composition et son langage.

Morandi ou Chardin sont-ils des artistes auxquels vous pouvez vous identifier – ou y en a-t-il d’autres, peut-être ?

Chardin reste un modèle pour son sens exceptionnel de la composition, pour son approche de l’essentiel, plus il avance dans son travail, plus ces coups de pinceau sont larges, plus ils suggèrent plutôt qu’ils ne décrivent. Chez Morandi, j’aime l’utilisation d’un nombre limité d’objets avec lesquels il a travaillé encore et encore. Ce n’est pas l’objet qui compte, c’est la recherche et l’exploration.
Mais dans mon panthéon, je mettrais Francis Bacon, toujours pour la composition, pour ses harmonies de couleurs, pour sa technique inventive. Miquel Barcelo pour son utilisation de la matière, ses expériences. Pierre Bonnard pour sa composition et ses harmonies de couleurs. Gerhard Richter pour ses vanités synthétiques et son travail sur la photographie. Pieter de Hooch et Samuel van Hoogstraten. Vermeer pour la lumière et la complexité presque mathématique de ses compositions. Je pourrais également citer, dans l’ordre chronologique, Cézanne, Giorgio de Chirico, Gérard Garouste, Willem Claeszoon Heda…

En photographie, je citerais Irving Penn et en particulier sa série de natures mortes pour le magazine Vogue mais c’était un photographe complet. Roy DeCarava pour ses compositions très fortes et expressives. Et puis Josef Koudelka, Josef Sudek, André Kertész, Outerbridge…

Aviez-vous déjà décidé de vous lancer dans la photographie pendant vos études aux Beaux-Arts de Bordeaux ? Ou est-ce arrivé plus tard ?

Je suis entré aux Beaux-Arts pour faire de l’architecture intérieure. Je travaillais aussi pour un décorateur à la même époque. Ensuite, j’ai fait mon diplôme sur le vêtement. Puis je suis allée vivre et travailler à Paris dans le domaine de la mode et du textile. En tant que graphiste, puis en tant que graphiste et styliste. J’ai beaucoup travaillé sur les tendances. C’est important car lorsque vous présentez des tendances, vous produisez des planches d’idées qui sont surchargées d’informations.

En réaction à ce travail et pour créer des choses plus personnelles, j’ai commencé à faire des compositions graphiques épurées à partir de schémas de couleurs limités et d’un ou deux détails graphiques tirés de mes planches de tendances. C’était mon premier pas vers la nature morte. En même temps,
J’ai toujours été intéressée par la photographie, mais principalement en tant que spectateur jusqu’à ce que j’achète un petit appareil photo compact et que je commence à photographier mon jardin. Des fleurs, des détails, mais il manquait un élément déclencheur pour réunir le graphisme et la photographie… Cet élément est une peinture de Jan Jansz Van de Velde vue à Paris et revue chez lui au Rijk Museum d’Amsterdam. C’était le déclencheur. J’ai aimé cette composition décentrée, ce grand fond gris qui est presque un tableau dans le tableau. La relation avec la photographie était évidente pour moi et la nature morte le genre le plus docile pour un travail de précision.

Pourquoi êtes-vous tombé amoureux de cette lumière du Nord particulière ?

Je le dois certainement à Vermeer, Vilhelm Hammershøi ou Pieter de Hooch. Comme ces peintres, je travaille face au nord, près d’une fenêtre, car la lumière y est plus constante. Cette lumière exprime un certain calme, une atmosphère réfléchie et aussi une certaine mélancolie. C’est une atmosphère propice à l’ajustement précis des fonds et des objets entre eux, et à de longues expérimentations.

Utilisez-vous uniquement la lumière du jour sans filtre ou créez-vous la lumière ?

La lumière à Toulouse n’est pas la même qu’aux Pays-Bas. Évidemment, je la préfère par temps pluvieux que par temps ensoleillé. Je travaille donc avec une lumière naturelle et variable. J’utilise parfois un réflecteur pour ouvrir une partie qui me semble trop sombre. Je canalise la hauteur de la lumière, ce qui me permet de jouer avec la longueur des ombres, qui sont un élément essentiel de mes compositions.

En parlant de Toulouse… y a-t-il d’autres régions ou villes d’Europe (ou du monde) que vous aimez et qui vous ont façonné ?

Pour ma culture artistique, je dirais Paris où j’ai vécu quelques années et où je vais encore. Mais je suis aussi très sensible à tout ce que l’on peut découvrir en Italie. A commencer par la beauté architecturale des villes, par ces façades qui

ont rompu avec la symétrie et qui restent donc une source d’inspiration inépuisable.

Travaillez-vous les compositions avant de tourner ou se produisent-elles spontanément pendant que vous les assemblez ?

Je travaille rarement sur mes compositions avant de commencer une séance photo. Je préfère choisir un ensemble d’objets et de fonds et commencer un travail de recherche. L’objet détermine beaucoup de choses. S’il est périssable comme les fruits et légumes, je veux l’utiliser au bon moment.

Parfois, on me prête des objets et j’ai un temps plus ou moins limité pour les utiliser. Je choisis aussi ma gamme de couleurs, qui est toujours limitée. Ensuite, je réfléchis à l’importance que je donne à l’arrière-plan, au vide en général. Ce choix détermine la taille du tirage final, qui peut aller jusqu’à un mètre carré.

“Le début d’une session est toujours un moment joyeux ».

Quel est l’aspect le plus difficile et le plus joyeux de votre travail ?

La photographie est un processus complexe, de la prise de vue au tirage final. Le début d’une séance est toujours un moment joyeux. Je prends des photos à la maison et je développe dans un autre endroit. Je peux être très enthousiaste lors de la prise de vue et déçu par ce que je vois sur mon écran de développement. Mais l’inverse est vrai, il m’arrive de “découvrir” la véritable valeur d’une prise de vue sur l’écran, non pas immédiatement mais plusieurs semaines, voire plusieurs mois plus tard. Et lorsque le tirage est enfin devant mes yeux, ce peut être un moment de grande satisfaction.

Je suppose que 9 personnes sur 10 pensent, après un premier regard sur votre travail, qu’elles voient une peinture. Comment est né ce mélange particulier de genres ?

J’ai commencé à photographier des natures mortes sur une vieille cheminée en marbre avec le mur comme fond. Puis j’ai voulu d’autres fonds, mais je voulais garder la matière, alors j’ai décidé de peindre moi-même mes fonds sur des cartons toilés que je place derrière mes compositions.

Maintenant, ces fonds servent aussi de base, de support, ce qui augmente l’aspect pictural de mes photographies. J’aime cette ambiguïté et elle sert mon travail, qui est de toute façon inspiré par la peinture – mais c’est venu naturellement.

Votre travail reflète la beauté ainsi que des moments très intenses d’intimité et de spiritualité. Si l’on peut se permettre cette question, qu’y a-t-il en vous qui se retrouve toujours dans votre travail ?

C’est une question naturelle mais qui touche à quelque chose de très personnel. Il m’est difficile d’y répondre avec des mots parce que si j’en étais capable je ne ferais peut-être pas de la photographie. Je ferais plutôt de l’histoire de l’art ou de la philosophie.Cela dit, beaucoup de gens ressentent un apaisement devant mes photographies. Plus rares sont ceux qui perçoivent ,à juste titre, une tension. Il ne faut pas oublier qu’une photographie est un instantané et qu’un travail de recherche, pour moi, ne peux pas être tranquille. Mes photographies exprimeraient donc un double état. C’est certainement une partie de la réponse.

Votre utilisation sensuelle des fruits et légumes suggère la question suivante : aimez- vous cuisiner ?

Oui, j’aime cuisiner. Quand je vais au marché, je regarde à deux fois les légumes et les fruits que je choisis. Avec moi, ils ont deux vies. Une vie de modèle et une vie d’ingrédient.
Le lien entre les deux doit probablement être la relation avec la matière. Une matière qui évolue (maturation) et que l’on transforme (cuisson). C’est pourquoi le terme “nature morte” n’est pas approprié. Il s’agit d’un très vieux malentendu.

Vous avez publié deux livres. Le dernier en collaboration avec le poète Claude Barrère. Pouvez-vous nous parler un peu de vos livres et de la façon dont cette collaboration pour le deuxième livre s’est faite ?

Ces deux livres ont été une expérience complète parce qu’ils m’ont permis de faire travailler ensemble le graphiste et le photographe. Pour le deuxième, j’avais demandé à Claude Barrère, poète et graveur, qui aimait bien mon travail et qui avait l’expérience de la collaboration avec d’autres artistes, de bien vouloir écrire une préface. Après réflexion, il m’avait proposé d’écrire plutôt des poèmes à partir de mon travail. Quelle chance !
J’aime beaucoup cette forme poétique concise qui peut se rapprocher du haïku mais qui est dans la lignée de Cummings ou Paul Ceylan que j’ai découverts à cette occasion. Il y a une correspondance de structure avec mes photographies. La collaboration elle-même a été un formidable travail d’équipe, nous avons fait avancer ensemble la mise en page, le choix des photographies et des poèmes.

Quels sont vos projets pour l’avenir proche ?

Je ne fais pas un travail linéaire, j’exploite plusieurs pistes à la fois.Je fais des allers-retours entre des pistes qui me sont familières que je continue à développer et des pistes nouvelles à exploiter.

Designers & Artistes